Introduction: Une Tapisserie de Temps et de Terre
Contexte Géographique et Historique
Le Sénégal, situé à l’extrémité ouest de la zone soudano-sahélienne, est une terre dont l’histoire est profondément façonnée par sa géographie unique. Bordé par le Sahara au nord et encadré par les vallées des fleuves Sénégal et Gambie, le pays a toujours été un carrefour stratégique pour le commerce et les mouvements de populations. Cette position géographique a joué un rôle déterminant dans son parcours historique, influençant les interactions culturelles et économiques qui ont défini la région.
Sur le plan administratif, le Sénégal est organisé en six régions naturelles, qui sont ensuite subdivisées en dix régions administratives, reflétant la diversité de ses paysages et de ses écosystèmes. La présence humaine sur ce territoire est attestée par des découvertes archéologiques remontant à environ 150 000 ans, témoignant d’une préhistoire longue et riche. Ces vestiges offrent un aperçu des premières sociétés qui ont habité cette région, posant les bases d’une histoire complexe et stratifiée.
Aperçu de l’Héritage Durable du Sénégal
L’histoire du Sénégal est traditionnellement divisée en plusieurs périodes distinctes : l’ère préhistorique, la période précoloniale, l’ère coloniale et la période contemporaine. Ce rapport explorera ces époques successives, en mettant en lumière les continuités, les transformations et les héritages durables qui ont forgé la nation sénégalaise. L’analyse des dynamiques historiques révélera comment les interactions entre les peuples, les influences extérieures et les adaptations internes ont créé une identité nationale résiliente et complexe.
I. Fondations Précoloniales: Empires, Migrations et Sociétés Anciennes
Présence Humaine Ancienne et Découvertes Archéologiques
Les recherches archéologiques approfondies menées à travers le Sénégal ont mis au jour des preuves substantielles d’une occupation humaine ancienne et de cultures préhistoriques sophistiquées. Parmi les sites clés figurent le Cap Manuel, où un dépôt néolithique a été découvert en 1940, révélant l’utilisation de roches basaltiques, y compris l’ankaramite, pour la fabrication d’outils microlithiques tels que des haches et des rabots. Des outils similaires trouvés à Gorée et aux Îles de la Madeleine suggèrent des activités de construction navale par les pêcheurs de l’époque.
Le site de Bel-Air est caractérisé par des outils néolithiques Bélariens, principalement fabriqués à partir de silex, découverts dans les dunes occidentales près de l’actuelle Dakar. Les trouvailles incluent des haches, des herminettes, de la poterie et, de manière notable, une statuette connue sous le nom de Vénus de Thiaroye. Le site de Khant, situé dans la basse vallée du fleuve Sénégal près de Kayar, a donné son nom à une industrie néolithique utilisant principalement l’os et le bois. Ce dépôt est inscrit sur la liste des sites et monuments classés du Sénégal. Enfin, la fouille de la Falémé, dans le sud-est du Sénégal, a mis en évidence une industrie d’outils néolithiques Falémiens produisant des matériaux polis aussi divers que le grès, l’hématite, le schiste, le quartz et le silex. Des équipements de broyage et de la poterie de cette période sont également bien représentés sur le site.
D’autres preuves d’un peuplement dense et ancien en Sénégambie comprennent des tumulus dans la vallée du fleuve Sénégal, des amas coquilliers le long de la côte, et des sites mégalithiques près du Saloum et de la Gambie. Sine Ngayène, en particulier, compte 52 cercles de pierres, dont un double cercle, tandis que Wanar en possède 24, avec des pierres plus petites. Ces découvertes, ainsi que des poteries et des ornements, confirment une activité protohistorique dans la moyenne vallée du fle fleuve Sénégal depuis au moins le début de notre ère.
Vagues Migratoires et Formation des Groupes Ethniques
Le peuplement du Sénégal précolonial est le résultat de multiples vagues migratoires, comme l’indiquent les données archéologiques et les traditions orales, avec des arrivées successives depuis le nord et l’est. Les premiers habitants, parfois désignés comme les « petits nègres », furent progressivement repoussés vers le sud par des groupes ultérieurs, appelés les « grands nègres ». La dernière grande vague migratoire est associée aux Wolof, aux Peul et aux Sereer, tous appartenant au groupe Bafour, dont la dispersion semble être liée à la pression almoravide.
La région du Namandirou, riveraine de la Falémé sur le haut fleuve, a servi de point de transit crucial pour les groupes Manding qui avançaient vers la Sénégambie. Ils se sont mêlés successivement aux Soninké, puis aux Sereer et aux Wolof. Ces schémas migratoires historiques ont profondément influencé la composition démographique contemporaine du Sénégal. Les Wolof et les Lebous constituent aujourd’hui le groupe ethnique le plus important (39,7%), suivis par les Peuls, Poulars, Fula et Toucouleurs (26,3%), les Sérères (10,5%) et les Malinkés (9,8%). Il est important de noter que les Peuls, Toucouleurs et Sarakolés sont reconnus pour leur rôle historique dans l’islamisation d’autres groupes ethniques du pays.
La prévalence de ces mouvements de population a directement façonné le paysage géopolitique, entraînant l’émergence, l’expansion et la fragmentation des royaumes précoloniaux. Ce processus dynamique a établi la diversité ethnique et linguistique fondamentale du Sénégal moderne, démontrant que l’histoire précoloniale n’est pas une série d’événements isolés, mais un processus continu de réalignements démographiques et politiques.
L’Ascension et l’Influence des Grands Royaumes (Tekrour, Ghana, Jolof, Mali, Songhaï)
L’histoire précoloniale du Sénégal est marquée par l’émergence de puissants royaumes et empires qui ont structuré la région.
Le Royaume de Tekrour, dont l’existence est attestée par des manuscrits arabes dès le IXe siècle, était un contemporain et vassal de l’Empire du Ghana. Son territoire correspond approximativement à celui de l’actuel Fouta Toro. Tekrour et le Ghana sont considérés comme les seules populations organisées de la région avant l’islamisation généralisée.
L’Empire du Ghana (Wagadou), florissant du IIIe au XIIIe siècle, était centré sur l’actuelle Mauritanie du sud-est, le Mali occidental et le Sénégal oriental. Sa capitale, Koumbi Saleh, était une ville double, avec une section servant de capitale royale et spirituelle et l’autre de quartier commercial animé, habité par des marchands musulmans. La richesse considérable de l’empire était intrinsèquement liée au commerce transsaharien de l’or, du sel et de l’ivoire, qui s’est intensifié après l’introduction des chameaux au IIIe siècle. La fondation de l’empire est traditionnellement attribuée au peuple Soninké. Le déclin de l’empire a commencé après sa prise par Soumaoro Kanté du royaume de Sosso en 1203, et il a finalement perdu son indépendance en étant intégré à l’Empire du Mali après 1240. La structure urbaine de Koumbi Saleh, avec sa séparation fonctionnelle mais sa continuité spatiale, révèle une organisation spatiale et sociale sophistiquée. Cette interdépendance entre l’autorité politique/religieuse et l’activité économique souligne que la prospérité commerciale était un moteur fondamental de la formation et de la puissance de ces premiers États.
L’Empire du Jolof (Grand Jolof/Empire Wolof) a émergé comme un État musulman médiéval majeur en Afrique de l’Ouest, avec des origines remontant au XIIIe siècle. Sa fondation est attribuée à Ndiadiane Ndiaye, également associé à la création du royaume du Waalo et à la « création » de la langue wolof. Au XVe siècle, l’influence politique du Jolof s’étendait sur toute la région entre les fleuves Sénégal et Gambie. Bien que contemporain de l’Empire du Mali, il a probablement maintenu une reconnaissance souple de l’hégémonie de ce dernier. Cependant, au XVIe siècle, des dissidences internes de ses États tributaires – le Cayor, le Baol, le Wallo, le Sine (fondé en 1350) , et le Saloum (fondé en 1494) – ont entraîné sa fragmentation, réduisant le Jolof à un royaume beaucoup plus modeste.
L’Empire du Mali, fondé par Soundiata Keita vers 1226, est devenu le plus grand et le plus influent empire d’Afrique de l’Ouest. Il est devenu célèbre pour la richesse de ses souverains, en particulier Mansa Moussa, dont le pèlerinage renommé à la Mecque (1324-1326) a révélé l’opulence du Mali au monde entier. Issu d’un petit royaume Mandingue, son expansion a coïncidé avec le déclin de l’Empire du Ghana. L’héritage de l’empire comprend la diffusion étendue de la culture et des langues Mandé, et ses institutions politiques ont laissé une empreinte durable qui a persisté jusqu’à la période coloniale. Doté d’une armée bien organisée, le Mali a maintenu un réseau commercial florissant. Après la mort de Mansa Souleymane, l’empire est entré dans un lent déclin, se réduisant progressivement à ses dimensions d’origine de la fin du XVe au XVIIe siècle.
L’Empire Songhaï, un puissant État commercial, a prospéré entre le XVe et le XVIe siècle, centré sur la moyenne vallée du fleuve Niger et s’étendant vers l’ouest jusqu’à la côte atlantique. Il est considéré comme le plus grand et le dernier des trois grands empires précoloniaux d’Afrique de l’Ouest. Sa ville clé, Gao, a été sous l’influence du Mali de 1325 à 1375 avant de retrouver son indépendance. Après la conquête marocaine en 1591, les élites Songhaï survivantes ont déplacé leur capitale à Lulami, où divers Askias ont tenté de préserver les traditions de l’empire jusqu’à sa conquête finale par les forces coloniales françaises en 1901.
Le Fouta Deyanke fut un État établi dans la région du Fouta Toro par le peuple Peul, sous la direction de Tenguella et de son fils Koly, existant de 1512 à 1776. Cet État fut mis à rude épreuve par les Maures qui cherchaient à le soumettre à leur autorité.
Le Gabou, suite à l’affaiblissement de l’Empire du Mali, a affirmé son indépendance, s’étendant de la Gambie au nord de l’actuelle Guinée-Bissau. Il a tenté de tirer parti de sa position stratégique de contact entre les Européens et leurs alliés du littoral d’une part, et les Diola de l’arrière-pays d’autre part. Cependant, les sociétés Baïnouk et Diola ont résolument refusé de se fondre dans l’identité du Gabou, se retirant dans leurs forêts pour préserver leur autonomie et leurs modes de vie traditionnels.
Tableau 1: Principaux Royaumes et Empires Précoloniaux (Région de la Sénégambie)
Royaume/Empire | Période d’existence/influence | Portée géographique | Caractéristiques Clés/Signification | Groupe(s) Ethnique(s) Principal(aux) |
Tekrour | IXe siècle | Fouta Toro (actuel) | Vassal de l’Empire du Ghana; population organisée avant l’islamisation | Toucouleur |
Ghana | IIIe-XIIIe siècle | SE Mauritanie, Ouest Mali, Est Sénégal | Richesse liée au commerce transsaharien de l’or, du sel, de l’ivoire; capitale Koumbi Saleh | Soninké |
Jolof | XIIIe-XVIe siècle | Entre fleuves Sénégal et Gambie | Grand État musulman; fondé par Ndiadiane Ndiaye; fragmentation au XVIe siècle | Wolof |
Mali | c. 1226-1610 | Vaste empire en Afrique de l’Ouest | Richesse de Mansa Moussa; diffusion de la culture Mandé; armée organisée | Mandingue |
Songhaï | XVe-XVIe siècle | Moyen Niger, s’étendant à la côte atlantique | Grand État commercial; plus grand et dernier empire précolonial | Songhaï |
Fouta Deyanke | 1512-1776 | Fouta Toro (actuel) | État Peul; mis à l’épreuve par les Maures | Peul |
Gabou | Post-affaiblissement du Mali | Gambie au nord Guinée-Bissau | Indépendant; position de contact avec Européens; résistance des Baïnouk et Diola | Diola, Baïnouk |
Réseaux Commerciaux Transsahariens et l’Avènement de l’Islam
L’introduction du chameau au IIIe siècle a révolutionné le commerce en Afrique de l’Ouest, transformant les routes irrégulières en un réseau transsaharien robuste reliant le Maroc au fleuve Niger. Cette évolution a favorisé la croissance des centres urbains et stimulé l’expansion territoriale, les États cherchant à contrôler ces routes commerciales lucratives. La prospérité de l’Empire du Ghana dépendait directement de son contrôle et de sa participation au commerce transsaharien de l’or.
L’Islam était présent dans l’Empire du Ghana, toléré et pratiqué par les marchands musulmans étrangers et certaines populations autochtones. L’expansion almoravide, un mouvement islamique significatif, a également joué un rôle dans la dispersion du groupe Bafour (Wolof, Peul, Sereer). L’Empire du Jolof, explicitement identifié comme un État musulman majeur, a été un participant actif à ces échanges transsahariens.
Au XVIIIe siècle, l’Islam a continué de se propager le long des routes commerciales, notamment par l’intermédiaire des Diola Manding impliqués dans la traite des esclaves. Les nouveaux convertis ont utilisé stratégiquement la religion comme un outil pour refonder leurs entités politiques sur des bases sociales, économiques et morales. Les Peuls, Toucouleurs et Sarakolés sont reconnus comme des groupes ethniques clés ayant contribué à l’islamisation généralisée d’autres populations sénégalaises. L’Islam s’est profondément enraciné dans la société sénégalaise à partir du XIe siècle, influençant de manière significative sa culture, ses systèmes éducatifs et ses structures sociales.
La propagation de l’Islam au Sénégal a été intimement liée au pouvoir politique, à la restructuration sociale et aux réseaux économiques. La religion a fourni des fondements idéologiques pour de nouveaux États et un moyen pour les communautés de s’adapter et de s’affirmer dans des circonstances changeantes. Cette intégration profonde de l’Islam dans le tissu sociopolitique des sociétés précoloniales a préparé le terrain pour son rôle significatif et durable dans la résistance coloniale ultérieure et la formation de l’identité sénégalaise post-indépendance.
II. Rencontres Européennes et les Cicatrices de la Traite Négrière
Exploration Portugaise Précoce et Établissement de Comptoirs Commerciaux
Les navigateurs portugais ont été les pionniers européens à établir une présence sur la côte ouest-africaine, à partir du XVe siècle, consolidant leur influence au XVIe siècle. Ils ont stratégiquement mis en place des comptoirs commerciaux initiaux dans des lieux côtiers clés, notamment la presqu’île du Cap-Vert, l’île de Gorée, Rufisque et Joal. L’arrivée des caravelles portugaises au milieu du XVe siècle a fondamentalement transformé la Sénégambie, intégrant sa côte dans un nouveau système économique orienté vers l’Atlantique et marquant l’aube d’une nouvelle ère d’interaction extérieure.
Malgré des tentatives, comme le projet non réalisé de João II de construire une forteresse au Sénégal, la présence portugaise était principalement commerciale. La nature lucrative de ce commerce a rapidement attiré d’autres nations européennes, entraînant une concurrence intense et la prolifération d’activités de contrebande le long de la côte.
La Traite Transatlantique des Esclaves: L’Île de Gorée comme Symbole
La traite transatlantique des esclaves a connu une intensification significative à partir du XVIIe siècle, remodelant fondamentalement les dynamiques de la région. L’île de Gorée, une petite masse terrestre située à seulement 3,5 km au large de Dakar, est devenue un symbole central et un pôle majeur de ce commerce brutal du XVe au XIXe siècle. Sa position géographique stratégique offrait un mouillage sûr pour les navires négriers, lui valant le nom de « Good Rade ».
L’île est aujourd’hui largement reconnue comme une « île mémoire », incarnant profondément la souffrance et la tragédie de la traite transatlantique des esclaves. Elle a fonctionné comme un entrepôt principal, abritant plus d’une douzaine d' »esclaveries » jusqu’à l’abolition du commerce. La Maison des Esclaves et son musée sont des attractions primordiales sur l’île, dédiées à la préservation de la mémoire déchirante des millions d’Africains qui ont été forcés de passer par ses portes. La désignation de l’île de Gorée comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO souligne sa valeur universelle en tant que témoignage exceptionnel de l’une des plus grandes tragédies de l’humanité.
La traite des esclaves a eu des conséquences dévastatrices pour l’Afrique, entraînant l’enlèvement forcé de ses individus les plus valides, provoquant une désorganisation économique généralisée, une désintégration sociale et favorisant un état chronique de guerre et de violence sur le continent. Paradoxalement, elle a également facilité l’introduction de certaines plantes alimentaires en Afrique. La Compagnie du Sénégal française, établie en 1674, a été un acteur majeur de la traite des esclaves, responsable du trafic d’au moins 6 076 personnes réduites en esclavage dès 1700. Les estimations suggèrent que le volume total de la traite française au XVIIIe siècle a dépassé 1 million, atteignant potentiellement jusqu’à 1,5 million d’Africains asservis.
L’île de Gorée transcende sa fonction historique de comptoir négrier pour devenir un monument vivant et un site crucial pour la mémoire collective, la réconciliation et l’éducation à l’échelle mondiale. Sa réinterprétation continue et son utilisation pédagogique, notamment son intégration dans les programmes scolaires , démontrent la manière dont les sociétés abordent les passés traumatiques, non seulement pour se souvenir, mais aussi pour apprendre et façonner activement l’identité contemporaine et le dialogue international. Ce processus continu met en évidence le pouvoir de la mémoire historique partagée pour favoriser la compréhension mondiale et aborder les héritages des injustices historiques, en particulier pour la diaspora africaine.
Rivalités Anglo-Françaises et la Lutte pour le Contrôle Côtier
Les principaux points de discorde entre les intérêts impériaux français et britanniques au Sénégal tournaient autour du contrôle stratégique de l’île de Gorée et de Saint-Louis. Le Traité de Paris de 1763, qui a mis fin à la Guerre de Sept Ans, a vu la Grande-Bretagne restituer Gorée à la France. Cependant, la France a officiellement concédé la conquête britannique de la région plus large du Sénégal. Cela a considérablement réduit les possessions africaines formelles de la France.
Malgré cette concession officielle, la France a secrètement préparé la reconquête, considérant Gorée comme la « clé du commerce » essentielle pour sécuriser les routes de la traite des esclaves vers ses colonies sucrières très rentables des Antilles. De 1758 à 1814, Saint-Louis et Gorée sont devenus des points chauds récurrents, continuellement contestés entre les forces britanniques et françaises. Saint-Louis, par exemple, a capitulé devant les Britanniques en 1758, restant sous leur contrôle pendant 21 ans jusqu’à sa reconquête par les Français en 1779. Le Traité de Versailles de 1783 a officiellement restitué le Sénégal à la France, consolidant les revendications françaises sur la région.
Les Français ont établi divers comptoirs commerciaux le long de la côte, notamment Gorée, Saint-Louis, Rufisque, Portudal, Joal et le Fort Saint-Joseph à Galam. Saint-Louis, fondé dès 1626-1628, est devenu un pôle commercial français essentiel. Ces comptoirs côtiers étaient principalement conçus comme des entrepôts et des centres commerciaux plutôt que des villes pleinement développées, leur longévité étant directement liée à la rentabilité du commerce. Ils ont attiré une nouvelle population en quête de gains économiques, certains se transformant en villes commerciales animées abritant plusieurs milliers d’habitants au XVIIe siècle. Le mélange des populations européennes et africaines a conduit au développement d’une société métisse distincte à Saint-Louis et Gorée.
Le contact européen, motivé par des intérêts mercantilistes et une demande insatiable de main-d’œuvre asservie, a fondamentalement réorienté les économies et les structures de pouvoir de la Sénégambie, passant des réseaux transsahariens traditionnels au commerce atlantique côtier. Ce changement a exacerbé les conflits internes et a contribué à une « fragmentation politique » où les groupes ethniques passaient « le plus clair de leur temps à se faire la guerre ». Cette réorientation économique violente a établi un précédent de contrôle externe et d’extraction de ressources qui continuerait à définir la relation de la région avec les puissances européennes pendant des siècles, façonnant profondément son développement sociopolitique.
L’Abolition Progressive de l’Esclavage
L’abolition de l’esclavage dans les territoires français fut un processus prolongé. Il fut d’abord formellement aboli par la Convention Nationale pendant la Révolution Française en 1794, pour être ensuite rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802. L’Empire Britannique avait aboli l’esclavage dans tous ses dominions en 1833. En France, l’abolition finale et définitive de l’esclavage eut lieu en 1848, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, durant la Seconde République.
Le projet colonial français au Sénégal n’était pas statique mais a connu une évolution stratégique significative. Bien qu’initialement profondément lié à l’économie brutale de la traite transatlantique, il y a eu une reconnaissance précoce du potentiel du Sénégal en tant que colonie agricole. Cette prévoyance intellectuelle, même avant l’abolition généralisée, indique une adaptation pragmatique des objectifs coloniaux en réponse à l’évolution des paysages économiques et moraux mondiaux. Ce changement a orienté la France vers une forme d’exploitation plus « établie », jetant les bases de l’accent mis plus tard sur les cultures de rente comme l’arachide pendant la période coloniale formelle, et illustrant la nature évolutive de la pensée économique impériale.
III. L’Ère de la Colonisation Française et de la Résistance Résiliente
Louis Faidherbe et la Consolidation de l’Autorité Française
La nomination de Louis Faidherbe au poste de gouverneur du Sénégal en 1854 a marqué un tournant décisif, inaugurant la période de colonisation française effective. Le mandat de Faidherbe a été caractérisé par une politique agressive de colonisation administrative et culturelle, visant à consolider les gains territoriaux français et à étendre l’influence vers l’intérieur. Ses efforts de « pacification » étaient souvent brutaux, impliquant une force militaire qui a entraîné des milliers de morts et l’incendie de nombreux villages. Il a notamment annexé les royaumes du Walo et du Fouta, établissant des postes militaires stratégiques tels que Bakel et Sénoudébou.
Malgré la violence inhérente à ses méthodes, Faidherbe était souvent dépeint par la propagande coloniale comme un « sauveur », un récit qui est de plus en plus remis en question dans le Sénégal contemporain. Son héritage reste un sujet controversé, comme en témoignent les débats en cours et les appels à la suppression de ses statues. Un aspect significatif de la stratégie militaire de Faidherbe fut la création des Tirailleurs sénégalais en 1857. Ces soldats, recrutés dans divers territoires d’Afrique subsaharienne, sont devenus partie intégrante des conquêtes coloniales françaises à travers l’Afrique et ont ensuite servi dans les grandes guerres françaises.
Administration Coloniale: Politiques d’Assimilation et les Quatre Communes
La politique coloniale française aux XIXe et XXe siècles était idéologiquement enracinée dans le concept d’assimilation, qui visait à transformer les populations africaines en citoyens français par l’adoption de la langue, de la culture et des valeurs françaises. Une caractéristique unique de cette politique au Sénégal fut le statut spécial accordé aux « Quatre Communes » (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar). Les habitants de ces communes se sont vu accorder les droits de citoyenneté française, un privilège largement refusé aux populations des autres régions de l’Afrique occidentale française.
Cette politique a conduit à l’émergence d’une élite biculturelle distincte, favorisant la stratification sociale basée sur l’accès à l’éducation et à la langue françaises. Au sein de ces communes, le pouvoir était exercé directement par une administration centralisée basée à Dakar, qui marginalisait souvent les structures de gouvernance locales traditionnelles. Les Quatre Communes ont joué un rôle central en tant que précurseurs de l’indépendance, leurs habitants s’engageant activement dans le système politique colonial pour défendre les intérêts africains. Un moment marquant fut l’élection de Blaise Diagne en 1914, qui devint le premier député africain noir à l’Assemblée nationale française, symbolisant une étape significative dans la représentation politique africaine.
Malgré la politique d’assimilation, la majorité de la population autochtone des Quatre Communes est restée musulmane, démontrant la résilience de l’identité religieuse locale. La charge financière de l’administration locale dans les Quatre Communes était largement supportée par les « évolués » (Africains assimilés), financée par les impôts perçus auprès des citoyens français africains. Contrairement à l’intérieur du pays, les Quatre Communes jouissaient de certaines libertés, telles que la liberté de la presse et le droit de former des syndicats, une distinction qui a persisté jusqu’en 1945.
Bien que l’assimilation ait connu un certain succès dans ces centres urbains, elle a fait face à des critiques considérables tant en France (où certains soutenaient que les Africains étaient intrinsèquement inférieurs) que de la part des Africains eux-mêmes, qui cherchaient à « assimiler, mais non à être assimilés ». Les populations sénégalaises ont été parmi les premières à articuler cette résistance nuancée, exigeant l’égalité tout en préservant fermement leurs identités culturelles et musulmanes distinctes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Conférence de Brazzaville de 1944 a initié une série de réformes qui ont conduit à une représentation politique accrue et à un processus graduel de décolonisation. La Constitution de 1946 a en outre fourni un cadre pour une plus grande autonomie et une participation sénégalaise élargie aux processus politiques français. La Loi-Cadre, adoptée en juin 1956, a aboli le système électoral discriminatoire du double collège et a accordé le suffrage universel aux Africains. Elle a également établi des « Conseils de gouvernement » (gouvernements miniatures) dans chaque territoire. Cependant, des leaders africains éminents comme Léopold Sédar Senghor ont critiqué ces réformes, les qualifiant de simples « apparences de pouvoir », car les conseils territoriaux sont restés sous tutelle française directe, et la représentation africaine à l’Assemblée nationale française est restée disproportionnellement faible. La Loi-Cadre a également été critiquée pour avoir potentiellement conduit à la « balkanisation » de l’Afrique occidentale française en favorisant l’autonomie territoriale au détriment de structures fédérales plus larges.
La politique d’assimilation française a été une arme à double tranchant. Alors qu’elle a créé une classe d’Africains éduqués capables de naviguer et même de tirer parti du système colonial, elle a involontairement nourri le leadership intellectuel et politique qui finirait par contester et démanteler ce système. L’octroi de droits limités et l’exposition aux idéaux français de liberté et d’égalité, sans une pleine intégration, ont mis en évidence les contradictions inhérentes au colonialisme et ont alimenté la conscience politique africaine.
Diverses Formes de Résistance: Soulèvements Armés et Mouvements Religieux
La résistance à l’empiètement colonial français a commencé sérieusement dans la seconde moitié du XIXe siècle, prenant diverses formes selon les structures régionales et les caractéristiques des populations.
Résistance Armée:
- El Hadj Omar Tall: Ce chef spirituel soufi Tijani très influent a mené un jihad significatif visant à étendre l’Islam et à résister aux forces françaises. Il a assiégé le fort français de Médine en 1857 avec une armée de 12 000 guerriers. Malgré sa ténacité, ses forces furent finalement vaincues en raison de la supériorité technologique militaire française (canons, obus, mitraille) et du soutien stratégique des soldats indigènes, y compris les premiers Tirailleurs sénégalais. Sa défaite marqua un tournant critique dans la résistance armée contre les Français.
- Lat Dior Ngoné Latyr Diop: En tant que Damel (Roi) du Cayor, Lat Dior est célébré comme une figure emblématique de la résistance sénégalaise. Il a remporté une victoire notable contre les forces de Faidherbe mais a finalement été tué en 1886 lors de la bataille de Dékhelé. Sa mort est largement considérée comme un tournant symbolique dans la résistance sénégalaise à la conquête française. Son héritage est activement réévalué dans le discours contemporain pour contester et rejeter les récits coloniaux.
- Samory Touré: Roi guerrier et bâtisseur d’empire redoutable, originaire de l’actuelle Guinée, Samory Touré a mené une résistance féroce et prolongée contre la colonisation française pendant plus de 15 ans. Il a établi un État moderne et centralisé soutenu par un réseau commercial robuste et une armée très efficace. Malgré des succès initiaux contre les troupes françaises, ses forces furent finalement affaiblies par la famine et la désertion, ce qui conduisit à sa capture en 1898.
- Ma Ba Diakhou Bâ: Clerc musulman éminent et figure de proue de la confrérie Tijaniyya à Rip, Ma Ba Diakhou Bâ a joué un rôle crucial dans la résistance. Encouragé par El Hadj Oumar Tall, il a lancé une guerre sainte, réussissant à prendre le contrôle de Rip, Saloum et de certaines parties de Niumi en 1861. Sa conversion d’Alboury Ndiaye, le Buur (Roi) du Jolof, à l’Islam fut un moment significatif pour la diffusion de l’Islam parmi les Wolof. Il a notamment vaincu les forces françaises lors de la bataille de Pathé Badiane en 1864. Sa tombe à Fandène est devenue un lieu de pèlerinage vénéré.
Résistance Passive et Religieuse:
- Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké: Le vénéré fondateur de la confrérie soufie Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba a adopté une stratégie unique de résistance non-violente. Il a fermement refusé toute forme de collaboration avec l’administration française, mettant l’accent sur la non-soumission et l’autonomie culturelle/religieuse. Son mouvement s’est concentré sur la piété, le travail acharné et une dévotion singulière à Dieu, créant efficacement un système social et économique parallèle qui a largement contourné l’autorité coloniale. Malgré son approche pacifique, les Français l’ont exilé à plusieurs reprises (au Gabon et en Mauritanie). Le Mouridisme est depuis devenu la secte islamique la plus influente au Sénégal, jouant un rôle central dans la vie nationale.
- Aline Sitoé Diatta: Prêtresse de Basse Casamance, Aline Sitoé Diatta a également adopté une stratégie non-violente de résistance contre la domination culturelle française, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale.
- Résistance Religieuse Générale: Après avoir vaincu la résistance armée, l’administration coloniale a pragmatiquement reconnu la nécessité de collaborer avec de puissants marabouts (chefs religieux) pour administrer efficacement la population. Ces marabouts, vénérés comme des guides spirituels et temporels par leurs communautés, sont devenus des partenaires indispensables pour le gouvernement français, qui a obtenu leur coopération par une politique calculée de menaces, de répressions, d’honneurs et de faveurs. Ce partenariat stratégique a involontairement renforcé l’influence de l’Islam confrérique au Sénégal, lui permettant de consolider son pouvoir et de fournir un cadre de résistance pacifique et de préservation culturelle contre les objectifs assimilationnistes français.
Tableau 2: Jalons Clés de la Colonisation Française et de la Résistance (XVe-XIXe Siècles)
Année/Période | Événement/Jalon | Acteurs/Figures Clés | Signification |
XVe-XVIe siècle | Établissement des premiers comptoirs commerciaux portugais | Portugais | Début de la présence européenne et de l’intégration à l’économie atlantique |
1626-1628 | Fondation du premier comptoir français à Saint-Louis | Louis Caullier | Début de l’implantation française au Sénégal |
1674 | Création de la Compagnie du Sénégal | Compagnie du Sénégal | Intensification de la traite négrière organisée par la France |
XVIIe siècle | Intensification de la traite transatlantique | Européens, Africains | Gorée devient un centre majeur de la traite des esclaves |
1763 | Traité de Paris | Louis XV, Grande-Bretagne | La France cède le Sénégal mais conserve Gorée; début du glissement stratégique colonial |
1779 | Saint-Louis repris par les Français | Duc de Lauzun | Réaffirmation de la présence française après l’occupation britannique |
1794 | Première abolition de l’esclavage (Révolution Française) | Révolution Française | Abolition temporaire de l’esclavage |
1802 | Rétablissement de l’esclavage | Napoléon Bonaparte | Retour à l’esclavage dans les colonies françaises |
1848 | Abolition définitive de l’esclavage | Victor Schœlcher, IIe République | Fin légale de l’esclavage dans les colonies françaises |
1854 | Nomination de Louis Faidherbe comme gouverneur | Louis Faidherbe | Début de la colonisation effective et consolidation de l’autorité française |
1857 | Création des Tirailleurs sénégalais | Louis Faidherbe | Force militaire indigène clé pour les conquêtes coloniales |
1857 | Siège de Médine | El Hadj Omar Tall, Louis Faidherbe | Bataille majeure de résistance armée contre la supériorité militaire française |
1864 | Victoire de Ma Ba Diakhou Bâ à Pathé Badiane | Ma Ba Diakhou Bâ | Succès notable de la résistance religieuse et armée |
1886 | Mort de Lat Dior à Dékhelé | Lat Dior Ngoné Latyr Diop | Défaite symbolique de la résistance armée, mais figure emblématique |
1898 | Capture de Samory Touré | Samory Touré | Fin d’une longue et féroce résistance armée en Afrique de l’Ouest |
1901 | Conquête des vestiges de l’Empire Songhaï | Forces coloniales françaises | Fin du dernier grand empire précolonial d’Afrique de l’Ouest |
1914 | Élection de Blaise Diagne | Blaise Diagne | Première représentation politique africaine à l’Assemblée Nationale française |
IV. Vers l’Indépendance et le Sénégal Contemporain
Les Mouvements Politiques et la Loi-Cadre Defferre
Le cheminement du Sénégal vers l’indépendance a été marqué par une évolution politique complexe, notamment à travers l’émergence de mouvements politiques et l’impact de réformes législatives françaises. Après la Seconde Guerre mondiale, la Conférence de Brazzaville de 1944 a initié un processus de réformes, conduisant à une représentation politique accrue et à une décolonisation progressive. La Constitution française de 1946 a fourni un cadre pour une plus grande autonomie et a élargi la participation sénégalaise aux processus politiques français.
Le principe d’assimilation, qui visait à intégrer les territoires d’outre-mer à la République française et à élever les anciens « sujets » au rang de citoyens, a sous-tendu la Constitution de la IVe République. Cette période a vu les syndicats lutter pour la suppression des discriminations raciales et l’égalité politique et sociale avec la métropole. La loi Lamine Guèye a notamment aboli la distinction entre citoyen et sujet, ce qui a été interprété par les syndicats comme une extension de la citoyenneté sociale, entraînant des revendications matérielles basées sur les standards de vie métropolitains.
Cependant, cette stratégie a également créé de nouveaux problèmes, notamment entre les travailleurs salariés et la majorité non salariée de la population, comme les paysans et les éleveurs. Des leaders comme Léopold Sédar Senghor, initialement perçus comme modérés, ont marqué une rupture en 1948 en démissionnant de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) pour créer le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Ce parti visait à défendre spécifiquement les intérêts africains, refusant de servir de « bétail électoral » pour les partis métropolitains. Cette « politique de ferme indépendance » préfigurait la lutte pour l’émancipation, même si elle n’impliquait pas encore une indépendance étatique totale, mais plutôt la création de groupes d’intérêts africains au sein de l’Union française.
La Loi-Cadre Defferre, adoptée en juin 1956, a été présentée comme une « avancée » majeure. Elle a aboli le système du double collège électoral et accordé le suffrage universel aux Africains, mettant ainsi les électeurs blancs et noirs sur un pied d’égalité. Elle a également élargi les prérogatives territoriales et créé de nouvelles institutions, notamment des « Conseils de gouvernement » miniatures dans chaque territoire, dotant les Assemblées territoriales d’un pouvoir législatif pour les domaines secondaires et locaux.
Cependant, ces progrès étaient perçus comme limités. Le Conseil de gouvernement restait présidé par le gouverneur ou haut-commissaire nommé par Paris, maintenant ainsi la tutelle française directe. Léopold Sédar Senghor a qualifié ces concessions de « joujoux » et d' »apparences du pouvoir », soulignant que le suffrage universel ne servait qu’à donner une onction démocratique à un système qui restait sous contrôle colonial. La Loi-Cadre ne modifiait pas non plus la sous-représentation des territoires africains à l’Assemblée nationale française et était critiquée pour risquer la « balkanisation » de l’Afrique occidentale française en favorisant l’autonomie territoriale au détriment de structures fédérales plus larges.
La Fédération du Mali et l’Accès à l’Indépendance
L’aspiration fédéraliste des pays africains a conduit à la formation de la Fédération du Mali. Le 17 janvier 1959, le Sénégal a rejoint le Soudan français (actuel Mali) pour former cette fédération éphémère. La Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Dahomey (actuel Bénin) en ont fait initialement partie avant de se retirer. Le gouvernement fédéral, investi le 4 avril 1959, était présidé par le Soudanais Modibo Keita, avec le Sénégalais Mamadou Dia comme vice-président, et Léopold Sédar Senghor en tant que président de l’Assemblée fédérale.
La Fédération du Mali a obtenu son indépendance le 4 avril 1960, reconnue le 20 juin suivant. Léopold Sédar Senghor a proclamé solennellement l’indépendance nationale de la Fédération du Mali le 20 juin 1960 à minuit, à l’Assemblée fédérale de Dakar. Des accords de coopération ont été signés avec la France le 22 juin 1960, permettant à la Fédération du Mali d’adhérer à la Communauté française tout en reconnaissant le Président de la République française comme Président de la Communauté.
Cependant, des désaccords internes ont rapidement conduit à l’éclatement de la Fédération du Mali. Le Sénégal a exprimé son désir de se retirer, proclamant son indépendance le 20 août 1960. Le Soudan français, malgré son opposition à cette sécession, est devenu la République du Mali le 22 septembre 1960, confirmant la rupture reconnue par la France et l’Organisation des Nations Unies (ONU) le 28 septembre 1960. En 1960, le Sénégal comptait environ 3 millions d’habitants.
Le Rôle Clé de Léopold Sédar Senghor
Léopold Sédar Senghor (1906-2001) a joué un rôle central dans le processus d’indépendance et la construction de la nation sénégalaise. Fondateur du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) en 1948 , il a été le premier Africain élu à l’Académie française. Senghor est largement considéré comme l’un des intellectuels africains les plus importants du XXe siècle.
Profondément influencé par des poètes américains comme Langston Hughes, Senghor est également l’un des fondateurs du concept de Négritude, avec Aimé Césaire et Léon Damas. Ce mouvement intellectuel visait à affirmer et à valoriser les caractéristiques, valeurs et esthétiques africaines distinctives. La Négritude, pour Senghor, n’était pas un racisme anti-blanc, mais plutôt une promotion du dialogue et de l’échange entre différentes cultures (européenne, africaine, arabe, etc.). Cette philosophie a imprégné sa critique culturelle, son œuvre littéraire et, de manière significative, sa pensée politique en tant qu’homme d’État.
Senghor s’est opposé au nationalisme indigène, arguant que les territoires africains se développeraient plus efficacement au sein d’un modèle fédéral qui combinerait leur « personnalité négro-africaine » avec l’expérience et les ressources françaises. Bien que le fédéralisme n’ait pas été favorisé par tous les pays africains, il a formé, avec Modibo Keita, la Fédération du Mali, dont il fut le président de l’Assemblée fédérale jusqu’à son échec en 1960.
Après l’éclatement de la Fédération du Mali, Léopold Sédar Senghor a été élu premier président de la République du Sénégal le 5 septembre 1960, un poste qu’il a occupé de 1960 à 1981. Son mandat a été caractérisé par l’instauration du multipartisme et le développement d’un système éducatif performant. Bien que le Sénégal ait accédé à l’indépendance, la valeur de sa monnaie est restée fixée par la France, le français est demeuré la langue d’enseignement, et Senghor a gouverné le pays avec des conseillers politiques français, illustrant la persistance des liens post-coloniaux.
V. Le Sénégal Post-Indépendance: Défis et Transformations
Évolution Politique et Alternances
Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal a connu des mutations profondes dans de nombreux domaines, notamment en politique. L’État moderne du Sénégal a hérité ses institutions de la colonisation française. Le pays est devenu indépendant le 4 avril 1960 et s’est doté d’une constitution le 26 août de la même année, fortement inspirée de la constitution française de 1958. Le Sénégal fut le seul pays d’Afrique noire francophone à adopter un régime bicéphale. Léopold Sédar Senghor fut élu premier président de la République, et Mamadou Dia fut nommé Premier ministre.
La première République sénégalaise a cependant été confrontée à une crise politique majeure en 1962, opposant le président du Conseil gouvernemental Mamadou Dia au président de la République Léopold Sédar Senghor. Mamadou Dia a tenté d’empêcher le vote d’une motion de censure par l’Assemblée nationale en faisant investir les lieux par les forces de l’ordre, ce qui a conduit à son arrestation le 18 décembre 1962. Suite à cette crise, Senghor a établi un régime présidentiel autoritaire, supprimant les partis politiques rivaux et instaurant un parti unique, l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), qui deviendra plus tard le Parti Socialiste (PS).
Le Sénégal est l’un des rares pays d’Afrique à n’avoir jamais connu de coup d’État. Léopold Sédar Senghor a démissionné volontairement le 31 décembre 1980, transmettant le pouvoir à son Premier ministre, Abdou Diouf. Abdou Diouf a remporté les élections de 1983, 1988 et 1993, restant au pouvoir jusqu’en 2000, année où il a perdu face à Abdoulaye Wade lors d’une alternance démocratique. Abdoulaye Wade a été président de 2000 à 2012, avant que Macky Sall ne soit élu en 2012, puis réélu en 2019. En mars 2024, le Sénégal a connu une nouvelle alternance présidentielle, avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye, le candidat de l’opposition, dès le premier tour, après une période de crise politique.
Le Sénégal se distingue en Afrique par l’organisation d’élections régulières et multipartites, avec neuf élections présidentielles en cinquante ans. Le multipartisme a été rétabli en 1976, permettant la coexistence de trois courants de pensée : socialiste et démocratique, libéral et démocratique, et communiste ou marxiste-léniniste. Malgré ces avancées démocratiques, le champ politique sénégalais a été marqué par des attitudes et des comportements qui entravent parfois l’instauration d’une démocratie apaisée, tels que les insultes, la violence, le clientélisme et la transhumance politique.
Développements Économiques
L’économie du Sénégal, la 21e d’Afrique et la 4e de la sous-région ouest-africaine, a connu des transformations significatives depuis l’indépendance. Au moment de son accession à l’indépendance en 1960, le Sénégal était le pays le plus industrialisé d’Afrique noire francophone, et cette croissance s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 1970.
Depuis 2012, une nette amélioration est observée, avec une croissance annuelle moyenne de 5,4 % entre 2012 et 2017, et une moyenne de 6 % sur la période 2014-2019. Le PIB nominal était estimé à 34,728 millions de dollars en 2024, avec un PIB par habitant en PPA de 5 499 dollars la même année. L’agriculture, le mil, le sorgho, le riz, le maïs et le niébé, bien que représentant 17,2 % du PIB en 2016, reste un secteur majeur, employant 80 % de la population active.
L’industrie, dominée par les huileries et les phosphates, a vu sa contribution au PIB passer de 18 % en 1988 à près de 30 % en 1996. Le secteur secondaire est cependant confronté à des défis, notamment le manque de maîtrise des énergies. Le Sénégal dispose de peu d’hydrocarbures, mais la découverte en 2015 du gisement gazier de Tortue, estimé à 25 trillions de pieds cubes, représente un futur vecteur de croissance économique. Le pays possède également des filons d’or, de fer, d’uranium, de phosphates et de zircon.
Le secteur touristique se développe, malgré des performances variables. En termes de développement humain, le Sénégal se classe 170e mondial et 34e africain selon l’IDH en 2021, avec 44 % de la population sous le seuil de pauvreté en 2014. Le taux de chômage officiel était de 15,7 % en 2017, mais est souvent estimé à plus de 40 %.
Société et Culture: Héritages et Dynamiques Modernes
La société et la culture sénégalaises sont le fruit d’une riche histoire, marquée par des héritages précoloniaux, l’impact profond de la colonisation française et des dynamiques modernes.
La population du pays est majoritairement musulmane (94 %), avec des minorités chrétiennes (4 %), notamment chez les Diola et les Sérer, et moins de 2 % d’animistes et d’autres religions. L’Islam, introduit dès le XIe siècle, a profondément façonné la culture, l’éducation et la structure sociale du Sénégal. Les pratiques religieuses jouent un rôle crucial, avec une haute valeur accordée à l’éducation coranique. L’influence de l’Islam se manifeste dans divers aspects de la vie quotidienne, de l’habillement aux coutumes et traditions, et a contribué à un fort sentiment d’unité et de solidarité. Les confréries soufies, en particulier, ont joué un rôle significatif dans le mélange des pratiques islamiques et des coutumes locales, créant une tapisserie culturelle unique. L’Islam sénégalais est souvent qualifié de tolérant, pacifique et de juste milieu, ce qui, selon certains spécialistes, entrave la propagation du terrorisme religieux.
L’impact du colonialisme français sur la culture sénégalaise est notable. La langue française est devenue le principal vecteur de l’administration, de l’éducation et de la communication au sein de l’élite. Cette imposition a conduit à l’émergence d’une élite biculturelle, créant une stratification sociale basée sur l’accès à l’éducation et à la langue françaises. Malgré les efforts français pour imposer leur culture, la présence enracinée de l’Islam a conduit à un mélange syncrétique de traditions islamiques et locales. Le français reste la langue officielle et une
lingua franca parmi les divers groupes ethniques, mais il y a une résurgence de la fierté des langues locales et des pratiques culturelles comme symboles de l’identité nationale.
Le mouvement de la Négritude, co-fondé par Léopold Sédar Senghor, a émergé en réaction à la domination culturelle coloniale française. Il visait à célébrer la richesse de l’héritage africain et à affirmer l’identité noire, s’opposant à la notion française d’une culture africaine « barbare ». Le Festival Mondial des Arts Nègres, initié par Senghor en 1966 à Dakar, a été un événement symbolique dans le mouvement de décolonisation, mettant l’accent sur l’identité noire et la valeur intrinsèque de la culture africaine.
L’héritage de la traite négrière est également profondément ancré dans la culture et la mémoire sénégalaises. L’île de Gorée est un symbole puissant et un lieu de mémoire essentiel de cette tragédie humaine, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. La Maison des Esclaves est un site de pèlerinage pour la diaspora africaine, et son histoire est intégrée dans les programmes scolaires sénégalais pour assurer la transmission de cette mémoire douloureuse. La réinterprétation continue de Gorée et son utilisation pédagogique démontrent comment les sociétés abordent les passés traumatiques pour apprendre et façonner l’identité contemporaine.
Le système éducatif sénégalais, hérité de la période coloniale, a connu une évolution vers la massification depuis l’indépendance. Bien que l’école ait été initialement un outil de l’emprise française , elle est devenue un objectif primordial pour les gouvernements successifs. La scolarité est obligatoire et gratuite dans les établissements publics. Des progrès significatifs ont été réalisés en termes d’accès, avec un taux brut de scolarisation élémentaire atteignant 93,9 % en 2011. Cependant, la qualité de l’éducation reste un défi, avec des disparités régionales et de genre, des problèmes d’infrastructures et de ressources humaines. L’introduction des langues maternelles dans l’éducation est une initiative récente visant à améliorer la communication et l’apprentissage.
L’influence des guides religieux et des confréries est également un aspect distinctif de la société sénégalaise contemporaine. Ils jouent un rôle majeur dans la vie politique, sociale et culturelle, étant considérés comme des guides primordiaux et contribuant à la stabilité du pays. Cette influence s’est consolidée en partie grâce à la collaboration pragmatique entre l’administration coloniale et les marabouts, qui ont trouvé un intérêt mutuel à maintenir l’ordre et à diffuser l’Islam.
Conclusion
L’histoire du Sénégal est une chronique riche et complexe, marquée par des vagues migratoires successives, l’émergence et le déclin de puissants empires précoloniaux, des interactions profondes et souvent brutales avec les puissances européennes, et une trajectoire post-indépendance caractérisée par l’évolution politique et la résilience culturelle. La position géographique du Sénégal en a fait un carrefour essentiel, favorisant des échanges commerciaux dynamiques et des métissages culturels qui ont jeté les bases de sa diversité ethnique et linguistique actuelle.
La période précoloniale a vu l’épanouissement de royaumes structurés par des réseaux commerciaux transsahariens, où l’Islam est devenu un catalyseur de transformation politique et sociale. L’arrivée des Européens a réorienté ces dynamiques, intégrant le Sénégal dans l’économie atlantique de la traite négrière, une période qui a laissé des cicatrices profondes et dont l’île de Gorée demeure un symbole poignant et un lieu de mémoire universel.
La colonisation française a introduit des politiques d’assimilation qui, paradoxalement, ont à la fois créé une élite biculturelle et stimulé une conscience nationaliste exigeant l’autonomie. Les diverses formes de résistance, qu’elles soient armées ou religieuses, ont démontré la détermination des populations sénégalaises à préserver leur identité et leur souveraineté. L’indépendance, obtenue après un processus politique complexe incluant la brève Fédération du Mali, a ouvert la voie à un État moderne.
Depuis 1960, le Sénégal s’est distingué par une stabilité politique relative et des alternances démocratiques pacifiques, malgré des défis économiques et sociaux persistants. L’héritage colonial se manifeste dans la langue et certaines structures administratives, tandis que l’Islam confrérique et la Négritude ont profondément façonné l’identité culturelle, renforçant le sentiment d’appartenance et la fierté nationale. L’histoire du Sénégal est ainsi une illustration éloquente de la capacité d’une nation à s’adapter, à résister et à construire une identité propre à travers les épreuves du temps.