Introduction
Abdou Diouf, figure emblématique de la scène politique sénégalaise et africaine, a marqué l’histoire de son pays en tant que deuxième Président de la République du Sénégal (1981-2000) et, par la suite, en tant que Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Son parcours, caractérisé par une transition pacifique du pouvoir, des réformes politiques et économiques significatives, et un engagement diplomatique soutenu, offre un prisme unique pour comprendre les défis et les évolutions du Sénégal post-indépendance et de la diplomatie africaine. Cette biographie détaillée explorera sa jeunesse, son ascension politique, les grandes lignes de sa présidence, ses rôles internationaux, ainsi que l’héritage complexe qu’il a laissé.
Fonction | Période |
Date de naissance | 7 septembre 1935 |
Breveté de l’École Nationale de la France d’Outre-Mer (ENFOM) | 1960 |
Gouverneur régional | 1961-1962 |
Secrétaire général du gouvernement | 1964-1965 |
Secrétaire général de la Présidence | Janvier 1964 – Mars 1968 |
Ministre du Plan et de l’Industrie | 1968-1970 |
Premier Ministre | 26 février 1970 – 31 décembre 1980 |
Président de la République du Sénégal | 1er janvier 1981 – 1er avril 2000 |
Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie | 1er janvier 2003 – 31 décembre 2014 |
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I. Jeunesse et Formation
Origines et Éducation Précoce
Abdou Diouf est né le 7 septembre 1935 à Louga, au Sénégal. Issu de la famille Joof, il est le fils d’une mère Halpulaar et d’un père Sérère, lui-même postier. Sa famille est décrite comme modeste, ce qui souligne un début de vie sans privilèges particuliers. Dès l’âge de cinq ans, il a suivi des cours d’instruction religieuse à l’école coranique, une pratique courante au Sénégal qui a probablement ancré ses valeurs dès son jeune âge. Il a ensuite effectué ses études primaires et secondaires à Saint-Louis, une ville historique du Sénégal, notamment au Lycée Faidherbe, aujourd’hui connu sous le nom de lycée Cheikh Omar Foutiyou Tall. C’est dans cet établissement qu’il a obtenu son baccalauréat en philosophie en 1955.
Parcours Universitaire
La quête de savoir d’Abdou Diouf l’a mené à la Faculté de Dakar, l’actuelle Université Cheikh Anta Diop, où il a entrepris des études de droit. Son excellence académique s’est manifestée très tôt, puisqu’il fut lauréat de la faculté de droit en 1957 et obtint sa licence en 1958. Il a par la suite poursuivi ses études à Paris, un passage qui a enrichi sa formation et son ouverture sur le monde. En 1960, il est devenu breveté de l’École Nationale de la France d’Outre-Mer (ENFOM), une institution prestigieuse qui formait les administrateurs coloniaux. Il a terminé major de sa promotion, avec un mémoire intitulé « L’islam et la société wolof ».
Cette rigueur académique, attestée par ses « brillantes études » et un « parcours académique sans faute », a constitué un socle solide pour sa carrière administrative et politique. Son excellence précoce dans les études de droit et son classement à l’ENFOM ont forgé sa réputation de « technocrate » et de « gestionnaire », des qualités qui ont été remarquées et valorisées par Léopold Sédar Senghor. Cette base de compétence avérée et de rigueur intellectuelle lui a offert une légitimité incontestable et une voie rapide vers des postes de haute responsabilité.
Premiers Pas dans la Fonction Publique
L’indépendance du Sénégal en 1960 a marqué un tournant décisif dans la vie d’Abdou Diouf. Il a choisi de démissionner de la fonction publique française pour se mettre au service de la nouvelle nation sénégalaise, démontrant ainsi son engagement envers son pays. Cette décision a jeté les bases d’une carrière où il a rapidement gravi les échelons, occupant très tôt de hautes fonctions administratives.
La formation biculturelle et bilingue d’Abdou Diouf, acquise à travers son éducation au Sénégal et en France, lui a conféré une légitimité unique, tant au niveau national qu’international. Sa capacité à comprendre et à opérer efficacement dans les deux sphères culturelles – celle du Sénégal et celle du système administratif français – a été un atout majeur pour son ascension et son influence diplomatique. Cette dualité a été fondamentale pour lui permettre de naviguer dans le paysage politique post-colonial et, plus tard, de devenir un « principal avocat de la langue du colonisateur » tout en étant un « artisan d’une démocratie » africaine.
II. Ascension Politique : Du Haut Fonctionnaire au Premier Ministre
Débuts dans l’Administration Indépendante
Après l’accession du Sénégal à l’indépendance, Abdou Diouf a entamé une ascension rapide au sein de la fonction publique du pays. Il a occupé une série de postes stratégiques, démontrant sa polyvalence et son efficacité administrative. Parmi ces fonctions figuraient celles de Directeur de la Coopération Technique Internationale, de Secrétaire Général du Ministère de la Défense, et de Gouverneur de la région du Sine-Saloum. Il a également servi en tant que gouverneur régional de 1961 à 1962 et comme secrétaire général du gouvernement de 1964 à 1965. En janvier 1964, il a été nommé Secrétaire Général de la Présidence, un poste qu’il a occupé jusqu’en mars 1968, le plaçant au cœur du pouvoir exécutif.
Cette trajectoire administrative progressive a doté Abdou Diouf d’une connaissance approfondie des rouages de l’État et des défis socio-économiques du Sénégal. Contrairement à de nombreux dirigeants post-indépendance issus principalement des mouvements de libération, Diouf a accédé aux plus hautes sphères du pouvoir avec une expertise technique et managériale solide. Cette expérience a profondément influencé sa gouvernance ultérieure, le préparant à des réformes structurelles et à une gestion rigoureuse, même si cette approche lui a parfois valu d’être perçu davantage comme un « gestionnaire » que comme un « visionnaire » par certains observateurs.
Ministre du Plan et de l’Industrie
De 1968 à 1970, Abdou Diouf a exercé les fonctions de Ministre du Plan et de l’Industrie. Ce portefeuille clé lui a offert l’opportunité de s’investir directement dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques visant au développement économique du Sénégal. Son passage à ce ministère a renforcé son profil de technocrate et sa compréhension des enjeux économiques nationaux, des compétences qui se sont avérées cruciales pour ses futures responsabilités.
Nomination au Poste de Premier Ministre
L’année 1970 a marqué une étape décisive dans la carrière d’Abdou Diouf. Léopold Sédar Senghor, alors Président de la République, a décidé de rétablir le poste de Premier Ministre par une révision constitutionnelle, et a désigné Abdou Diouf à cette fonction le 26 février 1970. Âgé de seulement 35 ans, Diouf est ainsi devenu le chef du gouvernement sénégalais, un poste qu’il a conservé pendant onze années, jusqu’à la fin de 1980.
Relation avec Senghor et Préparation à la Succession
La nomination d’Abdou Diouf au poste de Premier Ministre n’était pas un simple acte de reconnaissance de ses compétences, mais une manœuvre politique calculée par le Président Senghor pour assurer une transition de pouvoir stable et contrôlée. Senghor considérait Diouf comme un protégé, lui accordant sa confiance en raison de son expérience administrative et de son absence de « base de pouvoir indépendante ». Cette caractéristique était particulièrement importante pour Senghor, qui avait connu des turbulences avec son précédent Premier Ministre, Mamadou Dia, accusé de tentative de coup d’État. Diouf était également Secrétaire Général adjoint du Parti Socialiste sous Senghor, ce qui renforçait sa position au sein de l’appareil politique.
Cette stratégie visait à éviter les incertitudes et les violences souvent associées aux successions politiques en Afrique post-coloniale. Diouf était perçu comme un successeur loyal et technocratique, moins susceptible de défier l’autorité du « président-poète » et plus enclin à maintenir la stabilité du régime. Cette période de onze ans en tant que Premier Ministre a servi de véritable apprentissage et de préparation à la plus haute fonction de l’État, démontrant la nature pragmatique et stratégique de la politique sénégalaise de l’époque, où la succession était soigneusement orchestrée pour pérenniser le système en place.
III. La Présidence du Sénégal (1981-2000)
A. Transition et Consolidation du Pouvoir
Accession Pacifique
Le 1er janvier 1981, Abdou Diouf est assermenté Président de la République du Sénégal, succédant à Léopold Sédar Senghor qui avait démissionné. Cette transition, constitutionnelle et pacifique, fut un événement rare et remarquable en Afrique, marquant un tournant dans l’histoire politique du continent. Diouf est ainsi devenu le deuxième président du Sénégal, et Habib Thiam lui a succédé au poste de Premier Ministre.
Réélections et Contexte Politique
Durant sa présidence, Abdou Diouf a été réélu à trois reprises : en 1983, 1988 et 1993. Les élections de 1983 ont vu Diouf remporter une victoire écrasante avec 83,5% des voix. Cette élection a été notable car Diouf a poursuivi la libéralisation politique initiée par Senghor en autorisant quatorze partis d’opposition à se présenter, contre seulement quatre sous son prédécesseur. Cependant, les élections de 1988 ont été plus controversées. Diouf a gagné avec 72,3% des voix face à Abdoulaye Wade, son principal opposant, mais des allégations de fraude électorale ont entaché le scrutin. Ces allégations ont conduit à des troubles, forçant Diouf à déclarer l’état d’urgence et à détenir temporairement Wade. Les élections de 1993, où il fut réélu pour un mandat de sept ans avec 58% des voix, furent également très contestées, et le président du Conseil Constitutionnel, Kéba Mbaye, a démissionné, tandis que son vice-président a été assassiné dans ce contexte tendu.
Défis de Consolidation
Abdou Diouf a hérité d’un pays politiquement fragile et divisé à son arrivée au pouvoir. Il a dû faire face à une double opposition : interne, avec des figures comme Babacar Ba, Moustapha Niasse et Djibo Ka qui luttaient pour le contrôle au sein du parti au pouvoir, et externe, avec un Abdoulaye Wade « virulent et rusé » et une gauche « pugnace » qui prônaient un « Grand Soir ». Pour consolider son pouvoir, Diouf s’est appuyé sur des personnalités clés comme Jean Collin et, plus tard, Ousmane Tanor Dieng, qu’il a promu pour écarter de potentiels rivaux. Cependant, cette stratégie a eu des conséquences à long terme, puisque Tanor Dieng a progressivement construit sa propre base de pouvoir.
B. Politiques et Réformes Majeures
Démocratisation et Multipartisme
La présidence d’Abdou Diouf a été marquée par un engagement profond envers la démocratisation et le renforcement de l’État de droit. Il a poursuivi et approfondi la politique de libéralisation politique initiée par son prédécesseur, augmentant significativement le nombre de partis d’opposition autorisés à participer à la vie politique. Cet héritage politique et institutionnel est fondé sur le respect des droits humains et la culture du dialogue. Un acte symbolique fort de cette période fut la réparation de l’injustice coloniale faite au Professeur Cheikh Anta Diop, une figure intellectuelle majeure qui n’était pas appréciée par Senghor. Diouf lui a permis d’enseigner à l’Université de Dakar, qu’il a par la suite renommée en son honneur, démontrant un engagement envers la liberté intellectuelle et une sphère publique plus inclusive. Son administration a introduit un cadre de gouvernance prometteur, incluant un code électoral consensuel et une entité électorale autonome, ainsi que des stratégies innovantes pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, ce qui a renforcé la confiance des citoyens et des partenaires dans les institutions étatiques.
Réformes Économiques
Sur le plan économique, la présidence de Diouf a été confrontée à des défis majeurs, héritant d’un pays « exsangue » après deux crises pétrolières, une crise de la dette et la détérioration des termes de l’échange. Cette situation a nécessité des mesures drastiques, notamment la libéralisation progressive de l’économie et la décentralisation. Il a dû faire face à un besoin d’austérité imposé par le Fonds Monétaire International (FMI) tout au long des années 1980 et aux répercussions de la dévaluation du franc CFA en 1994. Ces politiques d’ajustement structurel, bien que « politiquement [difficiles] », ont été jugées « une bonne chose pour notre pays et son économie » par Diouf lui-même, qui a reconnu en avoir « souffert politiquement ».
Les réformes comprenaient une réduction de l’implication de l’État dans l’économie, la mise en œuvre de la « vérité des prix » pour les biens subventionnés comme le riz et le sucre, et la réduction des droits de douane. Ces mesures ont entraîné une augmentation des prix pour les consommateurs et des pertes d’emplois massives, notamment parmi les fonctionnaires. La dévaluation du franc CFA en 1994, bien qu’elle ait exacerbé ces impacts, visait à compenser la réduction du pouvoir d’achat par des gains de productivité à l’exportation. Cette période a vu le Sénégal adopter un nouveau système de planification, revaloriser les politiques sectorielles et financer l’économie par une utilisation prudente des ressources locales et une revitalisation de la coopération, grâce à la bonne réputation du pays. Ces efforts ont abouti à la restauration des fondamentaux macroéconomiques, comme l’ont attesté Mamadou Lamine Loum et Idrissa Seck.
La présidence de Diouf illustre la tension inhérente entre les aspirations démocratiques et les réalités économiques contraignantes dans les pays en développement. Les efforts de libéralisation politique visaient à renforcer la légitimité interne, tandis que les réformes économiques, bien que nécessaires pour la stabilité macroéconomique, ont érodé le soutien populaire et créé des tensions sociales. Cela met en évidence que la démocratisation ne peut être pleinement réalisée sans une base économique stable et socialement acceptable, et que les dirigeants sont souvent contraints de prendre des décisions impopulaires pour le bien-être économique à long terme.
Politiques Sociales
En matière de politiques sociales, Abdou Diouf a initié des programmes significatifs. L’une de ses réalisations les plus notables fut le lancement en 1986 d’un programme anti-SIDA précoce et proactif, avant même que le virus ne se propage massivement dans le pays. Il a utilisé les médias et les écoles pour diffuser des messages de prévention et de promotion des pratiques sexuelles sûres, et a même exigé l’enregistrement des prostituées. De plus, il a encouragé les organisations civiques ainsi que les leaders religieux chrétiens et musulmans à sensibiliser la population au SIDA. Ces efforts concertés ont permis au Sénégal de maintenir un taux d’infection par le VIH en dessous de 2%, un contraste frappant avec de nombreuses autres nations africaines où le virus a fait des ravages.
C. Diplomatie et Relations Internationales
Coopération Africaine
Abdou Diouf a marqué sa présidence par un fort accent sur la coopération avec les autres pays africains. Il a joué un rôle prépondérant en tant que délégué à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1983, jouant un rôle crucial lors du sommet du 23 juin. Son leadership décisif et sa modération en tant que président de l’OUA de 1985 à 1986, puis de nouveau de 1992 à 1993, ont contribué à restaurer la confiance au sein de l’organisation. Il a également présidé la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Conférence Islamique et les nations du G-15.
L’engagement actif de Diouf sur la scène diplomatique africaine et internationale a servi à plusieurs objectifs. D’une part, il a cherché à stabiliser la région par des initiatives de coopération et à renforcer les institutions continentales. D’autre part, cette diplomatie a projeté une image positive du Sénégal et de son leadership, compensant les difficultés internes et les critiques liées aux ajustements économiques. Cela démontre comment la politique étrangère peut être un levier pour renforcer la légitimité et l’influence d’un État, même en période de défis intérieurs.
Confédération de Sénégambie
Dans un effort de coopération régionale, Diouf a supervisé la création de la Sénégambie, une confédération lâche entre la Gambie et le Sénégal, qui a existé de 1982 à 1989. Cette union visait à partager les domaines de la défense, de la politique monétaire et étrangère, bien que les deux pays aient conservé leur souveraineté. Cependant, la confédération a été officiellement dissoute en août 1989, suite à la déstabilisation régionale et au conflit frontalier avec la Mauritanie.
Lutte contre l’Apartheid
Abdou Diouf a mené une lutte acharnée contre l’apartheid sur la scène internationale, mobilisant son propre pays, y compris les étudiants, les intellectuels et les artistes, puis l’ensemble du continent africain en sa qualité de président en exercice de l’OUA au milieu des années 1980. Il a ensuite porté ce combat aux Nations Unies. En juillet 1987, il a organisé à Dakar la première rencontre internationale entre des Sud-Africains libéraux multiraciaux et des représentants de l’African National Congress (ANC), en collaboration avec la Fondation Danielle Mitterrand – France Libertés. Nelson Mandela lui-même a reconnu que cette rencontre avait contribué à établir un climat de confiance en Afrique du Sud en réunissant des libéraux blancs et des militants noirs, servant de catalyseur pour l’arrivée de Frederik de Klerk au pouvoir en 1989. Lors du 3e Sommet de la Francophonie, qu’il a accueilli à Dakar la même année, Diouf a utilisé cette plateforme pour solliciter le soutien des pays membres afin d’accroître la pression sur le gouvernement sud-africain et la communauté internationale. Cette pression collective, sous la direction de Diouf à la tête de l’OUA, a poussé le Royaume-Uni et les États-Unis à suivre le mouvement, menant finalement à la libération de Nelson Mandela le 11 février 1990 et à la fin de l’apartheid.
Rôle dans la Résolution des Conflits
La diplomatie sénégalaise sous Diouf s’est attachée à réduire les conflits et à mettre en place, sur une base régionale, une capacité africaine de gestion des crises et de maintien de la paix. Cet engagement a positionné le Sénégal comme un acteur clé dans la résolution des défis sécuritaires du continent.
D. Défis et Controverses
Allégations de Fraude Électorale
La présidence d’Abdou Diouf a été entachée par des allégations récurrentes de fraude électorale, notamment lors des élections de 1988 et 1993. En 1988, malgré sa victoire avec 72,3% des voix, les partis d’opposition ont dénoncé des irrégularités, ce qui a provoqué des troubles et conduit à la déclaration de l’état d’urgence et à la détention temporaire d’Abdoulaye Wade, son principal opposant. Les élections de 1993 furent les plus contestées depuis l’indépendance, avec l’utilisation généralisée d’ordonnances qui ont prolongé les litiges. Le climat de tension a été tel que le Président du Conseil Constitutionnel a démissionné et son vice-président a été assassiné.
Conflit en Casamance
Le conflit en Casamance, débuté en 1982, a marqué une période de tensions sociopolitiques et d’affrontements armés avec le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC). Les tensions ont escaladé autour de questions foncières, et la répression étatique a poussé les militants à s’organiser le long de la frontière bissau-guinéenne, conduisant à l’acquisition d’armes par l’aile armée du mouvement, Atika, à la fin des années 1980. L’État a alterné répression et gestes d’ouverture, aboutissant à la signature du premier d’une longue série d’accords en 1991.
Conflits Frontaliers
La présidence de Diouf a été marquée par des conflits d’intensités inégales avec les pays voisins. En 1981, Diouf est intervenu en Gambie pour rétablir le président Dawda K. Jawara après une tentative de coup d’État, ce qui a mené à la création de la Confédération de Sénégambie. Cependant, cette confédération a échoué en raison de différences économiques et d’un manque de soutien populaire, et a été dissoute en décembre 1989. La même année, un conflit a éclaté avec la Mauritanie, résultant en violences ethniques et la rupture des relations diplomatiques, ce qui a déstabilisé la région. Des problèmes de délimitation des frontières avec la Guinée Bissau ont également refait surface, exacerbés par l’intensification du conflit en Casamance et la découverte de pétrole. Malgré des arbitrages internationaux en faveur du Sénégal, la Guinée Bissau a contesté les verdicts, menant à des épisodes tendus comme l’Opération Gabou en 1998.
Crise de la Police (1987)
En avril 1987, le Sénégal a connu une crise majeure au sein de sa force de police nationale. La condamnation de sept policiers pour la torture à mort d’un jeune commerçant a déclenché des protestations au sein du corps de police. Des manifestations à Dakar et Thiès ont été dispersées, et le ministre de l’Intérieur a été limogé. Par la suite, 6265 membres du personnel policier ont été suspendus puis licenciés, et les tâches de maintien de l’ordre ont été confiées à la gendarmerie.
Tentative de Coup d’État (1988)
Abdou Diouf a révélé dans ses mémoires qu’une tentative de coup d’État par le Général Tavarez a eu lieu en 1988, en pleine crise électorale. Tavarez aurait sollicité plusieurs colonels, mais la tentative a échoué, et il a été démis de ses fonctions.
Ajustements Structurels et Dévaluation
La présidence de Diouf a été contrainte d’appliquer des politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions financières internationales, notamment le FMI et la Banque Mondiale. Ces mesures, qui incluaient la réduction de l’implication de l’État dans l’économie, la « vérité des prix » pour les biens subventionnés et la réduction des droits de douane, ont entraîné des difficultés économiques et des pertes d’emplois massives. La dévaluation du franc CFA en 1994 a encore exacerbé ces impacts. Diouf a avoué avoir « souffert politiquement » de ces ajustements, reconnaissant qu’ils avaient créé un « divorce d’avec les populations ».
Usure du Régime Socialiste
Le long bail du Parti Socialiste au pouvoir, remontant à l’indépendance, a conduit à une diminution de sa lucidité et à des réformes perçues comme unilatérales, affectant son image. Des luttes internes au sein du parti, comme le « Congrès d’Ouverture et de Rénovation », ont également affaibli sa cohésion.
La capacité du Sénégal à traverser ces crises multiples – allégations de fraude électorale, troubles sociaux, conflits frontaliers, conflit en Casamance, crise policière, et même une tentative de coup d’État – sans rupture constitutionnelle majeure, est remarquable. Plus particulièrement, la décision d’Abdou Diouf de céder le pouvoir pacifiquement en 2000, après sa défaite électorale, témoigne d’un profond ancrage des institutions démocratiques et d’une culture politique de respect des règles, même sous une pression intense. Cela suggère que les fondations démocratiques posées par Senghor et consolidées par Diouf ont permis au Sénégal de se distinguer comme une démocratie relativement stable dans une région souvent sujette aux coups d’État et aux transitions violentes.
IV. Rôle Post-Présidence : Secrétaire Général de la Francophonie (2003-2014)
Élection et Mandats
Après avoir quitté la présidence du Sénégal, Abdou Diouf a été élu Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) le 20 octobre 2002, lors du 9e Sommet de Beyrouth. Il a succédé à Boutros Boutros-Ghali à ce poste. Son leadership a été largement reconnu, et il a été reconduit à l’unanimité pour deux mandats supplémentaires en 2006 et 2010, son troisième mandat s’achevant en 2014.
Ce rôle à la tête de l’OIF n’était pas une simple retraite honorifique, mais une continuation de son engagement pour la diplomatie multilatérale et la promotion des valeurs africaines et francophones. Cela démontre comment d’anciens chefs d’État peuvent continuer à exercer une influence significative sur la scène internationale en se positionnant à la tête d’organisations supranationales, en particulier celles qui résonnent avec leur héritage culturel et politique. Sa capacité à unifier et à étendre l’influence de la Francophonie souligne une habileté diplomatique et de leadership qui transcende les frontières nationales.
Réalisations et Initiatives Clés
Renforcement Institutionnel
Sous la direction d’Abdou Diouf, l’OIF a été transformée en une organisation multilatérale de stature internationale. Il a initié des réformes internes significatives, adoptant de nouveaux textes directeurs et améliorant la répartition des tâches entre les différents opérateurs de la Francophonie. Grâce à son impulsion et au soutien du président français Nicolas Sarkozy, l’OIF a également pu acquérir un siège approprié dans le 7e arrondissement de Paris, renforçant ainsi sa visibilité et sa capacité opérationnelle.
Rayonnement International
Diouf a considérablement accru la présence internationale de l’OIF, l’impliquant activement dans la résolution de crises politiques et remobilisant les réseaux associatifs francophones et les organisations non gouvernementales internationales (OING). Sous son leadership, l’OIF a connu une expansion notable, passant à 80 pays membres, représentant un tiers des Nations Unies et plus de 800 millions d’habitants. Cette croissance a été facilitée par sa politique d’ouverture, permettant aux pays amis de la Francophonie de rejoindre l’organisation en tant qu’observateurs ou associés. L’OIF a également établi des partenariats stratégiques avec plus de vingt organisations internationales ou régionales, telles que l’ONU, l’Union Européenne, l’Union Africaine, la CEDEAO et le Commonwealth, organisant des consultations régulières et des programmes de développement conjoints.
Promotion Culturelle et Linguistique
Abdou Diouf a œuvré à réconcilier la Francophonie avec ses racines africaines, promouvant activement la diversité culturelle et linguistique. Cela signifiait non seulement la promotion de la langue française, mais aussi celle des langues nationales de tous les pays membres. La création de TV5 Afrique, visant à favoriser le rayonnement international des productions africaines, et de l’Université Senghor d’Alexandrie, dédiée à la formation de hauts cadres africains, sont des exemples concrets de cette vision. Le nombre de locuteurs francophones dans le monde a d’ailleurs significativement progressé sous son mandat, passant de 200 millions en 2007 à 220 millions en 2010, avec environ 116 millions d’apprenants du français en 2011.
Défense des Valeurs
Diouf a constamment souligné que la lutte pour la Francophonie n’est pas seulement un combat pour une langue, mais une lutte pour des valeurs et une certaine vision du monde, s’opposant au monolithisme culturel et à l’uniformité linguistique. Il a mis en avant l’importance du dialogue des cultures et des religions comme un moyen de favoriser l’harmonie, la paix et l’éclaircissement des échanges. Il a également critiqué ouvertement le « monde unilingue » et la « pensée unique », affirmant la nécessité d’être fier d’exprimer sa pensée en français.
Sous la direction d’Abdou Diouf, la Francophonie a évolué au-delà d’une simple promotion de la langue française pour devenir un forum pour la diversité et le dialogue interculturel. Cette orientation plus inclusive a probablement contribué à l’expansion de l’OIF et à sa pertinence accrue sur la scène internationale, en offrant une alternative au modèle hégémonique de la pensée unique.
Engagement Continu
Même après son départ de la tête de l’OIF, Abdou Diouf est resté une figure influente. Il est devenu membre du comité d’honneur de la Fondation Chirac, lancée en 2008, pour œuvrer en faveur de la paix dans le monde. En 2014, il a publié le premier tome de ses « Mémoires », qui retrace sa vie politique nationale au Sénégal, avec un second tome prévu pour couvrir son action à la tête de la Francophonie.
V. Héritage et Évaluation
A. Bilan de la Présidence
Démocratie et État de Droit
Abdou Diouf est largement salué pour son apport fondamental à la démocratie et à l’État de droit au Sénégal. Sa présidence a consolidé le « commun vouloir de vivre ensemble » et a transmis l’État de droit aux générations futures. L’acte le plus marquant de son héritage démocratique est sans doute sa concession pacifique du pouvoir en 2000, après avoir perdu l’élection présidentielle face à Abdoulaye Wade. Cet événement, rare en Afrique, est considéré comme une contribution majeure à la paix sur le continent et un exemple éloquent de respect des principes démocratiques. Abdoulaye Wade lui-même a suggéré que Diouf devrait recevoir un Prix Nobel de la Paix pour avoir quitté le pouvoir sans violence. Cet événement a transcendé les critiques de sa présidence pour devenir l’un des piliers de son héritage, établissant un précédent crucial pour la démocratie sénégalaise et africaine.
Économie
Sur le plan économique, la présidence de Diouf a été marquée par la nécessité de mettre en œuvre des politiques d’ajustement structurel difficiles, héritées d’une économie lourdement endettée et affectée par des crises mondiales. Malgré les « souffrances politiques » qu’il a avouées avoir endurées en appliquant ces mesures, y compris la dévaluation du franc CFA en 1994, sa présidence a réussi à restaurer les fondamentaux macroéconomiques du pays. Les résultats obtenus, bien que « flatteurs », ont souvent été « sous-estimés » par le public, en raison de leur caractère impopulaire et des sacrifices qu’ils ont imposés à la population.
Diplomatie
Le Sénégal a connu un rayonnement diplomatique important sous la présidence d’Abdou Diouf. Son leadership au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) de 1985 à 1986 et de 1992 à 1993, ainsi que son rôle actif dans la lutte contre l’apartheid, ont renforcé la stature internationale du pays. Ses initiatives diplomatiques ont insufflé une nouvelle confiance au Sénégal, favorisant une coopération multiforme avec divers partenaires et associant le pays à des initiatives de sécurité mondiale.
B. Critiques et Perceptions
« Homme des Paradoxes » et « Mal-Aimé »
Abdou Diouf est parfois décrit comme « l’homme des paradoxes » et un « illustre mal-aimé » dans l’imaginaire populaire sénégalais. Cette perception est souvent liée aux « souffrances politiques » qu’il a endurées en appliquant les ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales. Il est parfois considéré comme le bouc émissaire des difficultés économiques et sociales du pays. Cette dichotomie dans la perception publique illustre la difficulté pour un leader de concilier la nécessité de réformes économiques impopulaires avec le maintien du soutien populaire. Bien que ses politiques aient pu être économiquement saines à long terme, leur impact immédiat sur la population a créé une image de dirigeant distant ou insensible.
Critiques Spécifiques
Au-delà des ajustements structurels, sa présidence a fait face à des critiques spécifiques. Les allégations de fraude électorale lors des scrutins de 1988 et 1993, les troubles sociaux qui en ont découlé, et les conflits frontaliers avec la Mauritanie et la Guinée Bissau ont terni son image. Le conflit persistant en Casamance a également été une source majeure de tension et de critiques. Certains observateurs le considéraient davantage comme un « gestionnaire » rigoureux qu’un « visionnaire », une perception qui a pu limiter l’appréciation de ses réalisations. Il lui a également été reproché un manque de communication directe et décontractée avec la population, ainsi qu’une insuffisante ouverture de l’État à des profils non-administratifs, ce qui aurait pu élargir les perspectives futures du Sénégal.
C. Impact sur la Francophonie
Renforcement et Expansion
Le mandat d’Abdou Diouf à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) est marqué par le renforcement de l’organisation sur la scène internationale et une augmentation significative du nombre de ses membres et partenaires. Il a réussi à donner une meilleure visibilité et reconnaissance internationale à la Francophonie, la positionnant comme un acteur clé dans la résolution de crises politiques et la promotion de la coopération multilatérale.
Promotion de la Diversité
Diouf a activement promu une vision élargie de la Francophonie, axée sur la diversité culturelle et linguistique. Il a insisté sur l’importance de promouvoir non seulement le français, mais aussi les langues nationales des pays membres. Cette approche a positionné la Francophonie comme un rempart contre la « pensée unique » et le « monde unilingue », favorisant un dialogue interculturel et interreligieux essentiel dans un monde globalisé.
Croissance du Français
Sous son leadership, le nombre de locuteurs et d’apprenants du français à travers le monde a progressé de manière notable, témoignant de l’efficacité de ses initiatives pour le rayonnement de la langue et de la culture francophones.
L’impact durable d’Abdou Diouf réside dans sa contribution à la construction et au renforcement des institutions, tant au niveau national qu’international. Sa carrière démontre une vision de la gouvernance axée sur la stabilité, la rigueur administrative et la promotion des valeurs multilatérales. Le fait qu’il ait pu reproduire ce modèle de renforcement institutionnel à l’OIF après sa présidence sénégalaise met en évidence une compétence et une philosophie de leadership cohérentes, qui ont laissé une empreinte significative sur les structures qu’il a dirigées.
Conclusion
Le parcours d’Abdou Diouf est celui d’un homme d’État qui a navigué avec pragmatisme et résilience à travers des périodes de profondes transformations pour le Sénégal et pour l’Afrique. Sa formation administrative rigoureuse et son bilinguisme culturel lui ont conféré une légitimité unique pour diriger le Sénégal post-Senghor et pour incarner la Francophonie sur la scène mondiale.
Sa présidence au Sénégal a été un équilibre délicat entre l’ouverture démocratique et la gestion de crises économiques et sociales complexes. Il a poursuivi la libéralisation politique, élargissant le multipartisme et renforçant l’État de droit, tout en étant contraint d’appliquer des politiques d’ajustement structurel impopulaires. Malgré les critiques et les tensions, sa capacité à maintenir la stabilité et, surtout, sa décision de céder le pouvoir pacifiquement en 2000, ont établi un précédent démocratique fondamental pour le Sénégal.
Son rôle en tant que Secrétaire Général de l’OIF a consolidé son statut de figure diplomatique majeure. Il a transformé l’organisation, étendu son influence et promu une vision inclusive de la Francophonie, axée sur la diversité culturelle et le dialogue.
En somme, l’héritage d’Abdou Diouf est celui d’un bâtisseur institutionnel et d’un diplomate qui, malgré les paradoxes et les défis, a contribué de manière significative à la stabilité démocratique du Sénégal et au rayonnement de la Francophonie, laissant une empreinte durable sur la gouvernance et les relations internationales africaines.